Le 3 novembre 1990, une formation de Tornados de la Royal Air Force survole la mer du Nord en direction de sa base. Subitement,à la stupéfaction des pilotes, les avions sont dépassés à grande vitesse par un objet volant. Aucun des pilotes, pourtant expérimentés, n'est capable d'identifier l'engin... À côté, leurs chasseurs bombardiers dernier cri paraissent de vieux coucous primitifs. Un compte rendu de l'incident est immédiatement transmis
par radio au ministère de la Défense. Et que se passe-t-il ensuite? Les pilotes reçoivent-ils la visite d'agents secrets des services du Renseignement? Les invite-t-on à se taire au nom du secret défense, comme dans les romans d'espionnage? Pas le moins du monde: le message envoyé par les pilotes est tout simplement archivé par le département du ministère chargé des enquêtes sur les ovnis avec la mention «affaire classée.» Pour le ministère, les choses s'arrêtent là !
UNE CONSPIRATION ?
Comment expliquer une telle incurie, une telle désinvolture? De nombreux spécialistes des ovnis sont intimement persuadés que certains départements du gouvernement britannique participent à une conspiration du silence. Ils agiraient de façon à étouffer toute affaire ayant trait aux objets volants non identifiés. Défendues depuis de nombreuses années, ces thèses bénéficient d'une grande publicité. Or en fait, elles ne sont guère fondées -le plus souvent- que sur des jugements a priori, sans qu'aucun élément de preuve vienne les étayer. Un simple examen critique des arguments des ufologues suffit à se persuader que les choses ne sont pas si simples qu'on voudrait le faire croire. C'est en 1951 que les services officiels britanniques ont eu pour la première fois à faire face à un phénomène ovni. C'était dans le cadre d'une étude effectuée par les services du Renseignement. L'enquête est mentionnée dans une lettre adressée le 9 août 1952 par le ministère de l'Air au Premier ministre de l'époque, Winston Churchill -lequel avait demandé un rapport sur les ovnis. La conclusion était sans appel : toutes les prétendues apparitions d'ovnis étaient explicables rationnellement. Le rapport se fondait sur les données rassemblées par l'aviation américaine, qui depuis 1947 procédait à ses propres enquêtes sous divers noms de code, comme «Sign», «Grudge» ou «Blue Book».
L'ARMÉE ENQUÊTE
De 1951 à 1953, Edward Ruppelt fut successivement le chef du Projet Grudge puis du Projet Blue Book. Dans son ouvrage paru en 1956, The Report On Unidentified Flying Objects (« Rapport sur les objets volants non identifiés»), il signale le grand intérêt que les Britanniques manifestaient à l'égard de tout dossier ovni. Il relate notamment une visite effectuée par deux officiers du Renseignement qui se présentèrent au quartier général de Blue Book avec six pages de questions. Les réponses qu'apportèrent les Américains influencèrent significativement la réponse adressée à Winston Churchill. Il est même possible que le rapport britannique ait été entièrement construit à partir des informations américaines...
Si les Britanniques se souciaient tant des ovnis, c'est parce qu'ils croyaient alors avoir affaire à des avions soviétiques d'un genre inconnu, chargés de tester leurs défenses aériennes. La guerre froide était alors une affaire sérieuse; l'armée de l'Air se préoccupait davantage des Russes que des Mar- tiens. L'idée qu'il puisse s'agir d'engins extraterrestres n'intéressait personne à cette époque. L'armée de l'Air se fonde alors sur la doctrine militaire traditionnelle, selon laquelle il faut sur- veiller constamment son espace aérien et être capable d'identifier tout avion pénétrant dans la zone de défense aérienne.
La fonction publique, au sein de l'administration civile comme dans les armées, est par nature conservatrice; dotée d'idées préconçues, elle est peu réceptive aux spéculations avancées par les ufologues. Tout naturellement, les officiers responsables avaient du mal à s'imaginer confrontés à des manifestations extraterrestres. Ils auraient plutôt eu tendance à nier l'existence de tout ce qu'ils ne pouvaient pas expliquer.
CHURCHILL DÉSINFORMÉ !
À titre d'illustration, il est intéressant de noter que le rapport du ministère de l'Air envoyé à Winston Churchill ne fait même pas mention des «Foo Fighters», ces étranges boules de lumière qui avaient été vues par les pilotes alliés, ainsi que par leurs collègues de l'Axe, au cours de la Seconde Guerre mondiale. A-t-on délibérément caché la vérité à Churchill, ou l'omission reflète-t-elle tout simplement le manque d'ouverture d'esprit du ministère de la Défense? Une lettre du 24 juin 1965 éclairera plus avant la véritable attitude du gouvernement britannique. Dans une réponse à l'US Air Force, les Britanniques expliquent que leur politique consiste à «minimiser la question des ovnis en évitant d'y accorder trop d'attention ou de publicité». Le ton général de la lettre démontre bien que le ministère de la Défense considérait tout cela comme une perte de temps et d'argent.
NO COMMENT
Il est aujourd'hui possible d'examiner certaines archives qui jettent davantage de lumière encore sur la politique du gouvernement britannique en matière d'ovnis. D'un côté, il est clair qu'il s'est produit quelques incidents ovnis vraiment extra- ordinaires. Les archives font état de nombreux cas où des engins auraient été vus par des témoins militaires et détectés par les radars. Des avions de la RAF décollèrent en hâte pour tenter d'intercepter les ovnis... mais sans succès. Le ministère a reconnu pendant des décennies que ces événements défiaient toute explication. Environ 10% des observations restent effectivement inexpliquées, même après une enquête rigoureuse.
Le problème, c'est que les archives -certaines d'entre elles ayant été classées «secret défense»- indiquent clairement qu'aucune mesure n'a été prise une fois les enquêtes terminées. Même lors- qu'il y a eu tentative d'interception. On peut ainsi parler d'une attitude d'indifférence et d'incompétence, sans qu'on puisse néanmoins conclure au projet de cacher quoi que ce soit au public.
Bien entendu, le ministère est dans une situation où il ne peut pas prouver sa bonne foi. Ceux qui sont convaincus qu'il y a conspiration par- viendront toujours à interpréter les faits de façon à étayer leur thèse. C'est ainsi qu'un événement totalement innocent peut être déformé pour cadrer avec ce qui ressemble à une idée fixe. À partir du moment où un document concernant les ovnis est inaccessible -c'est le lot de toute archive déclarée sensible- les «conspirationnistes» crient à la manipulation... De même, le fait que les médias refusent d'ouvrir leurs colonnes à diverses affabulations ufologiques est attribué à la mise en œuvre d'un black-out qui serait orchestré par les autorités... Les fonctionnaires du ministère de la Défense, qui par le passé rendaient parfois visite à des témoins pour obtenir des informations de première main sur des cas particulièrement intriguants, sont maintenant présentés comme de sinistres «hommes en noir»... Décidément, la paranoïa est de mise.
Mais il est vrai que les comptes rendus d'observation d'ovnis sont le plus souvent archivés dans un dossier «Ovni: affaire classée». Et rien n'est fait ensuite pour enquêter sur les faits. On a pu constater ce manque de suivi dans l'affaire de Rendlesham survenue en décembre 1980. Le lieutenant colonel Charles Hait rédigea pour le ministère un rapport au sujet de l'activité ovni autour des bases aériennes de Bentwaters et Woodbridge. Le rap- port indiquait les niveaux de radiation anormale- ment élevés enregistrés sur un site où l'on avait vu atterrir un petit ovni métallique. Jamais le ministère n'accusa réception du mémorandum de Halt...
MANQUE D'INFORMATION
La politique du ministère sur les observations d'ovnis consiste donc simplement à les examiner en vue de déterminer s'il existe une menace dirigée contre la Grande-Bretagne. Parfois ces examens sont effectués, mais toujours avec une grande réticence. Si de nombreux ufologues critiquent ouvertement cette attitude archaïque de l'administration, l'accusation de conspiration est formulée de moins en moins souvent aujourd'hui; ce qui préoccupe actuellement les ufologues, ce n'est pas que le ministère en sache trop, mais au contraire qu'il n'en sache pas assez... Cacher ce que l'on sait est déplorable, mais se cacher la tête dans le sable, en raison des préjugés de quelques fonctionnaires, est encore pire. En l'espèce, l'hypocrisie pourrait présenter un danger mortel. Qu'on se le tienne pour dit! |