Qui étaient ces personnages chauves, sans oreilles, aux pieds et mains palmés, apparus en l'an 800 en France?
Peu d'événements étaient susceptibles d'étonner l'homme de l'époque médiévale car il survivait alors à grand-peine. Lorsqu'il avait résisté aux hivers rigoureux, aux guerres féodales et aux fléaux, il acceptait sans trop se formaliser les incursions de l'irréel ou du fantastique dans le réel. D'ailleurs, la frontière était floue entre l'imaginaire et le vécu et les phénomènes étranges pouvaient communément être acceptés comme des signes d'une autre réalité. L'Église elle-même saisissait les esprits en évoquant la présence immanente du malin et en décrivant les forces obscures de démons immatériels. La mort faisait partie du quotidien et chacun se savait continuellement menacé.
Seul cet aspect de la pensée médiévale peut expliquer que, en l'an 800, sous le règne des Carolingiens, les habitants de la vieille ville de Lyon (aussi anciennement sous le nom de Lugdunum) n'aient pas été choqués de l'apparition de surprenants objets descendant du ciel. Les Lyonnais franchirent les portes fortifiées de la ville et gagnèrent avec force cris les champs où venaient de se poser les vaisseaux. Ils furent rapidement encerclés, puis un grand silence se fit lorsque le premier pilote sortit de l'engin.
Comme les citadins ne comprenaient rien à son langage inconnu, il fut décidé sans autre forme de procès de s'emparer de ces êtres. Les pilotes venus du ciel furent immédiatement cloués sur des croix et confiés au courant de la Saône et du Rhône. Ainsi pensait-on châtier ces étranges visiteurs qui «venaient sur Terre pour abîmer les récoltes par le fracas de leurs terribles engins volants».
ILS SONT PARTOUT...
Ce châtiment était supposé dissuader d'autres visiteurs célestes qui, voyant du ciel leurs compagnons emportés par les flots, se seraient tenus à distance de la Terre. Pour- tant, des chroniqueurs médiévaux rapportèrent que, quelque temps plus tard, apparurent en grand nombre, dans nos régions et sous nos climats, des êtres aux caractéristiques physiques pour le moins étonnantes.
Bien que d'abord persécutés, ils furent peu à peu tolérés jusqu'à vivre à côté des humains. Relégués au rang de bannis, ils s'organisèrent de façon autonome en marge de la société.
Les représentants de cette race maudite furent baptisés « Chrestians », «Gézitains», «Gahets», «Agots», ou encore «Cagots». Les nombreux historiens à s'être penchés sur l'histoire de cet étrange peuple dispersé, retrouvent, aux quatre points cardinaux de l'Europe, la même description de ces êtres que celle qui fut faite en France.
Les Chrestians ont des caractéristiques physiques étranges : ils sont chauves, ils n'ont pas de pavillons d'oreilles visibles (à leur place, on distingue deux trous, comme chez les sauriens), ils ont les doigts des pieds et des mains palmés et ils dégagent une chaleur corporelle absolument anormale. Ce sont ces particularités, maintes fois relevées, qui firent qu'on les relégua longtemps en tribus, aux portes des cités où ils érigeaient des sortes de faubourgs autonomes. Comme on considérait alors qu'ils avaient un aspect repoussant, obligation leur était faite d'être amplement vêtus, encapuchonnés et chaussés. Ceci étant, même soigneusement vêtus, les Chrestians avaient pour autre obligation de porter, cousue sur leurs vêtements, bien visible sur la poitrine, une patte d'oie séchée et peinte en rouge. Cette signalétique rappelait à la population que ces êtres avaient les pieds et les mains palmés !
UN TÉMOIN DIGNE DE FOI
On pourrait voir dans ces descriptions le fruit d'un ramassis de légendes et de fausses informations colportées par la rumeur si, au XVIe siècle, Ambroise Paré (1509-1590), le père de la chirurgie moderne, affecté au service du roi Henri II, ne s'était scientifiquement penché sur cette étrange race, maudite depuis déjà trois siècles.
À l'époque, les Chrestians, qui vivaient toujours en groupes isolés, n'avaient perdu aucune de leurs caractéristiques physiques et physiologiques consignées sous les Carolingiens. Ambroise Paré passa donc plusieurs semaines à en étudier quelques spécimens. S'efforçant de ne pas se laisser influencer par les rumeurs, il s'attacha à accumuler de véritables constatations médicales et à les consigner soigneusement par écrit.
Il rapporte notamment la capacité prodigieuse d'un Chrestian à pratiquer la «momification par magnétisme ». Cet exercice, rapporté ici dans le vieux français d'origine, est supposé révéler la puissance du magnétisme personnel: «L'un d'iceux tenant en sa main une pomme fraîche, icelle après apparaisoit aussi aride et ridée que si elle eut resté l'espace de huit jours au soleil. »
Ambroise Paré explique cette réaction par la chaleur anormalement élevée dégagée par le corps d'un Chrestian. D'ailleurs, on a dit que lors d'une saignée, il sortait de ses veines un liquide presque bouillonnant et d'une teinte entre le bleu et le vert ! Ces caractéristiques firent qu'un arsenal juridique spécifique fut mis sur pied afin de les mettre au ban de la société et d'éviter qu'ils ne risquent de se mêler aux humains. Vivant en groupes dans les faubourgs des cités, ils avaient leurs propres cimetières où ils étaient systématiquement inhumés sans prêtre ni office religieux.
Ils ne pouvaient exercer qu'un seul métier, celui de tonnelier car au Moyen Âge le bois était réputé ne pas véhiculer les maladies.
Ces êtres étranges ne vivaient cependant pas dans la misère car ils avaient un grand sens des affaires. D'anciennes archives notariales nous ont laissé des inventaires de biens établis après le décès de Chrestians. On peut y découvrir la description d'un niveau de vie très évolué. Ces textes montrent, en outre, que ces hôtes étranges possédaient une capacité juridique relativement évoluée pour l'époque. C'est probablement pour éviter le développement d'une économie parallèle indépendante -qu'un arsenal juridique draconien fut alors mis en place. Ainsi, bien qu'interdits de cité, les Chrestians pouvaient posséder des maisons intra muros à condition de ne pas les habiter eux-mêmes. Ceux qui étaient tentés de louer leurs propriétés à un humain devaient obligatoirement passer par l'intermédiaire d'un gérant non Chrestian. Bref, un racket bien organisé a rapidement rendu tout à fait tolérable la présence de cette population marginalisée.
CHASSE GARDÉE
Ceci étant, la tolérance n'aurait pas pu aller jusqu'à l'intégration : il leur était interdit de se marier, et plus encore de s'accoupler avec des humains. D'ailleurs, l'idée faisait sourire à l'époque car on semblait ne rien connaître de leur mode de reproduction. La rumeur populaire les disait bisexués au point que jamais on ne parlait d'eux en utilisant un genre !
C'est lors d'un procès que la discrimination était encore plus forte : il fallait les serments ou les témoignages de sept Chrestians pour pouvoir rivaliser avec celui d'un humain !
Les choses continuèrent ainsi pendant tout le Moyen Âge, mais, peu à peu, les Chrestians se sont fondus dans la population et, c'est peut-être le signe de leur intégration, au XVII siècle, seul le folklore parle d'êtres aux caractéristiques aussi étranges. L'histoire devait accélérer la disparition du peuple banni.
En effet, la Révolution de 1789 donna naissance aux «Droits de l'Homme». Les Chrestians devaient immanquablement en profiter. Néanmoins, compte tenu de l'étrangeté de leurs caractéristiques, une vaste étude médicale fut organisée afin de savoir si, oui ou non, ils pouvaient être considérés comme des hommes jouissant de la plénitude de ces droits nouvellement acquis. Les conclusions de l'examen révélèrent que les spécimens examinés n'étaient affectés qu'approximativement des symptômes décrits par Ambroise Paré et les chroniqueurs du Moyen Âge. Dès lors, les Chrestians purent se fondre et se couler dans l'anonymat de la ville, achever la totale dilution de leurs caractéristiques et occuper jusqu'aux plus hautes fonctions au sein de l'État sans que leur origine puisse même leur être rappelée.
VIVE MÉMOIRE POPULAIRE
Pourtant, après les glorieuses victoires de l'Empire, auxquelles bon nombre d'entre eux avaient efficacement participé, un reste de mépris existait encore à leur égard dans les campagnes. Quelques Chrestians y revinrent malgré tout, chargés de gloire. On possède même le témoignage de l'un d'eux, se plaisant à venir bruyamment, avec du retard, aux offices du dimanche, couvert de toutes ses médailles bravement gagnées. Vingt années plus tôt, n'ayant pu imaginer mettre les pieds dans l'église d'une ville ou d'un village, il bravait enfin ses anciens tortionnaires, analphabètes pour la plupart, afin de voir si l'un d'entre eux aurait eu, selon ses propres termes, «l'envie de venir lui friser les moustaches».
Rares sont les scientifiques modernes qui se penchèrent sur ce phénomène historique. Les thèses ou écrits rédigés sur les Chrestians se comptent sur les doigts d'une main. À la faculté d'histoire, on consacre aujourd'hui un cours à l'énigme des Chrestians mais leur origine reste toujours inexpliquée...
Certains auteurs du XIXe siècle ont avancé l'hypothèse que ces étranges individus auraient pu être des lépreux. Pour séduisante qu'elle soit, cette thèse ne tient pas car la façon dont ils étaient traités ne ressemble pas au traitement particulier et aux signes distinctifs imposés aux lépreux au Moyen Âge. En outre, des cimetières de Chrestians des XIe et XIIIe siècles, récemment fouillés, laissent entrevoir des squelettes parfaitement sains, dépourvus des terribles lésions osseuses que l'on peut observer sur les restes des lépreux.
D'autres chercheurs avancèrent l'hypothèse selon laquelle les Chrestians seraient les descendants de Sarrasins restés sous nos climats après les invasions. Or les chroniques du Moyen Âge assurent que les rares Chrestians non chauves portant les cheveux longs les avaient invariablement «blonds comme blé au soleil». On a aussi parlé d'éventuels descendants de Vikings mais ces derniers étaient déjà, depuis longtemps, intégrés à la société européenne.
Le milieu purement scientifique, en dehors d'Ambroise Paré, ne s'est jamais préoccupé de savoir qui étaient vraiment les Chrestians, se contentant d'affirmer péremptoirement que « des êtres bisexués, sans oreilles, aux doigts palmés, avec un sang vert et chaud n'existaient pas».
Pourtant, en reprenant certains éléments de leur histoire, on peut, par exemple, être frappé par l'aspect de saurien qui fait du Chrestian un parfait extraterrestre, semblable à ceux décrits par les contactés depuis le milieu du XXe siècle !
Ensuite, fait encore plus troublant, ces êtres «venus de nulle part» débarquent en Occident et principalement en France, juste après qu'y soit apparue une inexplicable invasion de vaisseaux aériens dont les pilotes, une fois pris, étaient systématiquement jetés dans les rivières après avoir été cloués en croix. Ne faudrait-il pas voir en eux les survivants de débarquements durement réprimés, résultats d'un exode planétaire pacifique, plutôt que d'une tentative de colonisation?
QUELLES DESCENDANCES ?
Ces vaisseaux apparus en grandes quantités, comme le décrivent si bien les documents de l'époque appelés capitulaires, n'ont finalement été remarqués que là où il y avait des témoins pour les voir, c'est-à-dire près des cités. On peut penser que la plupart de ces engins ont pu finalement débarquer sur Terre le plus paisiblement du monde. Quoi d'étonnant, dans ce cas, à ce que cette population aux caractéristiques physiologiques particulières ait formé une population rapidement mise à l'écart des villes?
Pendant plus de six siècles, ces hommes sont restés «les maudits» de notre histoire et il leur faudra attendre le XIXe siècle pour se fondre définitivement dans les rangs de la population terrienne. Pour approcher un peu plus le mystère de cette population paria, le château médiéval de Nestes (IXe-Xe siècles), dans les Hautes-Pyrénées, a ouvert le musée des Cagots. On y apprend notamment que l'on interdisait à ces «intouchables» du Moyen Âge de boire aux fontaines de peur qu'ils ne les souillent...