Le 19 mars 1994, Santiago Ytturia installe en toute hâte son caméscope sur un pied dans le jardin de sa maison de Monterrey, au Mexique. Au cours des semaines précédentes, cette zone a été le théâtre d'un cortège d'apparitions inconnues et Santiago Ytturia est déterminé à saisir sur cassette le passage de l'un de ces mystérieux objets non identifiés. Lorsque tout est prêt, il se met patiemment à scruter le ciel.
Après plus d'une heure d'attente, il commence à perdre espoir et, alors qu'il est sur le point de renoncer à sa surveillance attentive, un éclair illumine soudain le ciel mais disparaît aussi vite qu'il était apparu, laissant Santiago Ytturia abasourdi.
Après avoir attendu en vain d'autres manifestations, notre homme en proie à une vive excitation finit par défaire sa caméra du pied afin de visionner la vidéocassette pour s'assurer qu'il n'a pas eu la berlue. En repassant le film image par image, il voit distinctement un ovni briller dans le ciel. Mais ce qui l'étonnera encore plus, c'est ce qu'il découvre un peu plus loin.
Peu après l'éphémère apparition de l'objet volant, Ytturia observe une image très brève, mais parfaitement nette, d'un objet allongé et pointu à ses extrémités, qui traverse l'écran à une vitesse incroyable. Il repasse plu- sieurs fois la séquence : cet objet se déplace bien trop vite pour qu'il s'agisse d'un oiseau ou d'un insecte et on ne peut le voir qu'en déroulant la bande image par image. Santiago Ytturia comprend immédiatement qu'il a enregistré un phénomène unique. En revanche, la nature du phénomène et ses rapports éventuels avec l'activité extraterrestre qui l'a précédé restent un mystère.
DES « BARRES » DANS LE MONDE ENTIER
Depuis ce premier film, des objets inconnus du même genre, baptisés « barres », ont été filmés en vidéo. L'Américain José Escamilla, producteur de films vidéo et réalisateur, est le premier à avoir enquêté de façon approfondie sur cet étrange phénomène. Aujourd'hui, il a mis en place une équipe d'enquêteurs indépendants et, grâce à la démocratisation du caméscope, il a pu se procurer des séquences filmées spectaculaires dans le monde entier, du Royaume-Uni jusqu'au Mexique en passant par le Canada, la Norvège et les États- Unis. Escamilla possède même des séquences de «barres» évoluant sous l'eau. Malgré la prolifération de ces documents, le phénomène n'a pas encore livré ses secrets.
SCEPTICISME
Les avis sur l'origine de ces étranges objets sont partagés. Selon certains spécialistes, il s'agirait d'un phénomène extraterrestre, puisqu'il a été observé
pendant des périodes de forte activité ovni. Pour d'autres, en revanche, il faut y chercher la manifestation d'une nouvelle forme de vie terrestre. Les sceptiques, quant à eux, renvoient ces théoriciens dos à dos, en estimant qu'il s'agit peut-être tout simplement du vol d'oiseaux ou d'in- sectes, voire de trucages au moment de la prise de vue.
Malgré cette diversité d'opinions, l'exa- men détaillé du stock important de vidéos témoignant de ce phénomène a révélé un certain nombre de caractéristiques communes. Ainsi, la « créature », de forme cylindrique, mesure entre 10 centimètres et 3 mètres de long, peut voler jusqu'à 300 km/h et semble se déplacer grâce à une membrane solide et ondulante qui vibre à grande vitesse de chaque côté de son «corps».
Selon Jim Peterson, directeur-adjoint de l'association MUFON du Colorado, «il est très difficile d'observer des "barres" à l'œil nu. En règle générale, elles apparaissent de façon si éphémère et se déplacent si rapidement que le cerveau humain ne parvient même pas à capter leur passage. Par conséquent, elles sont passées pratiquement inaperçues jusqu'à l'invention du caméscope, qui a permis de les filmer et de les découvrir par hasard grâce à la décomposition de l'image. »
Pourtant, malgré une vitesse de prise de vue pouvant aller jusqu'à 30 images par seconde (elle était jusqu'à présent de 25 images/s), même les bonnes caméras vidéos professionnelles ne permettent toujours pas d'obtenir une image nette de ces fameuses «barres» qui se déplacent à des
vitesses beaucoup trop élevées. Il est en effet techniquement impossible de filmer un petit objet qui se déplace à 200 km/h à très haute altitude sur plus de quelques images. Pour les mêmes raisons, on obtient généralement une image floue qui n'a pas encore permis de déterminer précisément certains aspects de leur morphologie, comme par exemple la présence d'une tête ou d'yeux.
José Escamilla attend beaucoup de l'évolution rapide des technologies: «Nous voudrions disposer d'une caméra capable d'enregistrer 500 images par seconde! À cette vitesse, il devient possible, par exemple, d'immobiliser le déplace- ment d'une balle de revolver et nous pourrions alors en savoir plus sur la structure de cette créature. » Car c'est justement cette absence de détails qui a suscité de nombreuses critiques. Ces objets cylindriques auraient une origine bien plus simple que ne veulent le croire certains: il pourrait par exemple s'agir simplement de reflets sur l'objectif, ou encore d'oiseaux ou d'insectes.
Escamilla a pourtant une explication technique pour réfuter ces objections. Un reflet dans l'objectif ne peut se déplacer lorsque l'appareil est dans une position statique. Escamilla dispose égalements de séquences où des oiseaux et des insectes ont été filmés en même temps que ces mystérieux objets: «À une vitesse d'obturation de 1/10 000' de seconde, vous pouvez immobiliser le vol d'un oiseau ou d'un insecte, afin de l'identifier. En revanche, le vol de ces objets est tellement rapide que dans la plupart des cas, on n'obtient qu'une forme indistincte. De plus, des détails tels que ces membranes ondulantes montrent que ces créatures, quelle que soit leur nature, ne sont pas des organismes biologiques connus. Il reste à découvrir de quoi il s'agit vraiment. »
HABITAT TERRESTRE ?
Une vidéo tournée en 1996 a donné un élément de réponse. La séquence,filmée pour la télévision américaine par le cameraman professionnel Mark Lichtie montre des parachutistes en chute libre près de San Luis Potosi, au Mexique.
Comme souvent, les nombreux spécimens de «barres» n'ont été repérés que lors du visionnage de la cassette. Ainsi, en faisant défiler l'image au ralenti, Lichtie a remarqué que les «barres» se précipitaient à l'intérieur et à l'extérieur du champ, et volaient autour des parachutistes. Sur l'une des séquences, l'un de ces mystérieux objets faillit même entrer en collision avec l'un des parachutistes et il modifia sa trajectoire à la dernière seconde.
Cette remarquable séquence a été notamment étudiée par Bruce Maccabee, un physicien de la Marine américaine, expert en optique et réputé dans les milieux ufologiques pour ses analyses de films d'ovni. Il a confirmé que l'objet mesurait entre 2 et 4 mètres de long et qu'il ne pouvait donc s'agir ni d'un oiseau, ni d'un insecte.
Selon Escamilla, leur abondance dans le ciel du Mexique pourrait signifier que ces créatures ont élu domicile à cet endroit: «C'est donc là qu'il faut les filmer et les étudier ! »
IMAGES DÉCONCERTANTES
En 1997, Escamilla dispose d'un stock suffisamment conséquent d'enregistrements de «barres» pour faire connaître l'existence de ces créatures aux milieux scientifiques. Il présente donc une sélection de séquences à des zoologistes et des entomologistes de l'université du Colorado. «Ils n'en croyaient pas leurs yeux», se souvient Escamilla. «Ils disaient que cela ne ressemblait à rien de ce qu'ils connaissaient et que cela méritait d'être étudié de façon plus approfondie. »
C'est ce qu'a fait le biologiste Ken Swartz puisqu'il étudie le phénomène depuis 1998: «Il pourrait s'agir d'entités biologiques, mais il m'est vraiment difficile d'avancer des hypothèses sans spécimen à examiner. Ce sont peut- être des êtres amphibies, puisque l'on en a vu entrer et sortir de l'eau. Peut-être même naissent-ils dans l'eau et vivent-ils ensuite dans l'air?»
CALMAR ATMOSPHÉRIQUE
S'appuyant sur le témoignage de personnes qui assurent en avoir vu sur la terre ferme, Swartz avance l'hypothèse selon laquelle ces créatures présenteraient des similitudes avec la famille des céphalopodes, à laquelle appartiennent notamment la seiche et le calmar. « Certaines personnes m'ont dit que ces créatures se gonflaient comme un ballon pour se dégonfler rapidement. C'est donc qu'elles utilisent peut-être le même mécanisme de siphon que le calmar pour se déplacer. »
Ken Swartz est surtout intrigué par le phénoménal métabolisme de ces créatures : « Le métabolisme d'un oiseau-mouche, pourtant incroyable- ment élevé, est certainement très inférieur à celui que l'on peut supposer à ces créatures; à mon avis, pour disposer continuellement de leur fabuleuse énergie, elles doivent absorber chaque jour
l'équivalent de leur poids en nourriture.» Dans ce cas, quelle pourrait être cette nourriture?
Par ailleurs, s'il s'agit d'êtres vivants, pourquoi n'a-t-on encore découvert aucun cadavre de ces entités? D'après Ken Swartz, si on continue le parallèle avec le calmar, « ces créatures n'ont pas de squelette et elles pourraient donc se décomposer sans laisser aucune trace».
RÉPONSES DANS L'ÉVOLUTION DES ESPÈCES
Compte tenu de cette absence de traces matérielles, Ken Swartz a cherché une corrélation en étudiant l'évolution des espèces : « Si l'on étudie les espèces fossiles, un seul animal présente le même mode de locomotion que ces "barres". Il s'agit d'Anamalocaris, le prédateur marin dominant du Cambrien, qui a vécu il y a 400 millions d'années. » Selon le scientifique, cet animal se pro- pulsait grâce à une série de plaques ou de nageoires vibrant à la façon des membranes égale- ment vues sur les «barres». Swartz n'hésite donc pas à envisager qu'Anamalocaris ait été l'ancêtre de ces «barres».
Les récents travaux menés par l'entomologiste britannique Steven Wooten pourraient peut-être lever le voile sur le mystère de ces étranges «barres»: en collaboration avec des biologistes spécialistes de paléontologie, ce dernier a en effet élaboré un modèle théorique permettant de savoir à quoi ressemblait l'ancêtre des insectes actuels, qu'il a baptisé protopterygote. « Cette créature ressemble à s'y méprendre à l'une de ces "barres". Par conséquent, on ne peut pas écarter l'hypothèse selon laquelle les "barres" sont issues d'Anamalocaris en passant par les protopterygotes, puis ont évolué de façon distincte. »
Autant d'hypothèses qui ne font que rendre ces créatures encore plus énigmatiques car pour l'instant, rien n'est sûr. Qu'elles aient inspiré les mythes sur les «monstres volants» ou qu'elles représentent l'évolution d'un insecte préhistorique, elles conservent toute leur magie : soit il s'agirait d'une forme de vie extraterrestre, soit d'un phénomène biologique qui a échappé jus- qu'à présent à l'observation scientifique.
Pour sa part, José Escamilla ne se fait pas d'illusions. Il sait que la capture d'une de ces créatures sera extrêmement difficile. «Au début, je pensais que cela serait facile, mais après avoir étudié ces entités pendant des années, je pense aujourd'hui qu'il est pratiquement impossible de les capturer», affirme-t-il. Et tant que l'on ne disposera pas d'un spécimen que l'on puisse étudier, la question de l'origine et de la vie de ces étranges créatures demeurera un mystère. |